LE JOURNAL LE DIPLOMATE: NOTRE ARCHIVE EN 2005 / Amara Camara, ancien fonctionnaire à l’UNESCO, Fondateur de l’Association ‘’Kossimankan’’
« Si la solution au problème guinéen passe par la politique, je m’y engagerai… »
Il avait 62 ans en 2005. 31 ans de vie active dans les rouages de l’Organisation des Nations unies pour la science et la culture (UNESO). Il réside en France. A la retraite depuis juin 2002, l’ancien directeur adjoint du bureau régional de Dakar pour l’éducation en Afrique refuse le repos. L’homme a fondé il y a bientôt deux ans une association de lutte contre la pauvreté au service de ses compatriotes. En séjour à Conakry pour le démarrage du projet, nous l’avons rencontré au soir du 16 décembre dernier dans un hôtel de la commune de Ratoma. Dans cette interview qu’il nous a accordée, M. Amara Camara nous parle de l’objet de sa présence au pays, de la mission de son association ‘’Kossimankan’’ (les choses se ressemblent sans être pareilles)… et des derniers incidents survenus au campus de Conakry.
Le Diplomate : Vous êtes au pays depuis quelques jours. Peut-on connaître l’objet de votre séjour au bercail ?
Amara Camara : Pendant ma carrière à l’UNESCO, j’ai appris à faire des projets. Un jour, je me suis dit qu’il était bon que je fasse chez moi, ce que j’ai appris et vu faire chez les autres. C’est pour cette raison que j’ai créé depuis un an, bientôt 2 ans une association de lutte contre la pauvreté ‘’Kossimankan’’. Et nous commençons le projet par la Haute Guinée, simplement parce qu’il faut commencer quelque part, ensuite, c’est ma région d’origine. La mission de cette Association est de couvrir toute la Haute Guinée dans un premier temps, ensuite, le reste du pays. Et c’est tant mieux si ça fait des émules comme on en a eu la preuve à Paris le 4 décembre dernier lors de la réunion de présentation de cette association dont le modèle intéresse beaucoup de pays Africains. Ce modèle consiste à faire directement avec les populations. Autrement dit, ce qui les concerne directement. Des choses concrètes.
Quelles sont ces choses concrètes ?
Ce ne sont pas de grandes choses, il s’agit pour moi d’amener les populations locales à améliorer elles-mêmes leurs conditions d’existence. Au mois de mai dernier, nous avons fait venir un conteneur de 40 pieds dans lequel il y avait des vélos, des livres, des ordinateurs, des machines à coudre que nous allons distribuer aux populations selon leur catégorie socio-économique. C’est-à-dire que des vélos seront offerts par exemple aux personnes qui résident à 5 ou 10 km du centre urbain (Kankan) qui viennent avec leurs petites productions sur la tête tous les matins et qui doivent retourner assez rapidement pour faire la cuisine pour le mari qui est au champ. Donc un vélo pour cette catégorie de la population est un avantage certain qui est réalisé. Dans le projet, nous avons prévu 4 volets: un volet pour le développement de l’artisanat que nous faisons avec les artisans. Nous les réunissons, leur donnons les outils et essayons de les aider à améliorer la qualité de leur production. Par-dessus tout, nous leur donnons les moyens d’atteindre un marché qu’ils n’auraient jamais atteint en créant pour eux un site Internet par lequel ils vont présenter et vendre leurs produits. Nous les assisterons pendant 3 ans et ils devraient s’autofinancer au bout de la 4e année. Dans les années 60 et 70, beaucoup de nos artisans et sculpteurs ont été formés dans nos régions. Nos cordonniers étaient parmi les meilleurs dans la sous région. Nos femmes ont fait ici des pagnes indigo, il y a une éternité, mais ces choses n’ont pas été développées. Nous avons été dépassés par des pays comme le Burkina Faso, le Mali… Donc aujourd’hui, nous voulons que nos artisans retrouvent leur place d’antan. Nous voulons qu’ils mangent à présent à leur faim. Un autre volet concerne la case de la santé. A ce niveau, nous n’aurons pas besoin de dépenser beaucoup d’argent, nous aurons simplement à expliquer l’hygiène aux gens. On n’a pas d’argent pour les soigner mais on a de quoi les aider pour éviter les maladies. Ce faisant, on leur explique l’utilisation quotidienne du savon. Leur dire par exemple de se laver les mains au savon à chaque fois qu’on les a, sales. Etant africains, nos parents pensent que l’eau est propre en elle-même. Et on peut lier à ça, tout ce qui compte de symbolique dans nos religions et dans l’ignorance. Par exemple, lorsqu’on dit que les ablutions sont purificatrices, forcément, boire en ce moment là, va de soi. Ensuite, ce qu’on ne voit pas chez nous n’est pas dangereux. L’eau avec de la boue. Gamin, on me disait qu’il fallait laisser l’eau se reposer dans la boue pour la boire après. Alors que ça, c’est très dangereux. Sans rentrer dans les détails des autres usages parce que nous ne croyons pas aux papiers hygiéniques. C’est donc mieux de faire ses toilettes avec de l’eau à la condition qu’on se lave les mains après au savon. Sinon, on transfert les microbes aux aliments, aux enfants et autres. Je ne parlerai pas des toilettes intimes des femmes qui se font sans antiseptique. Et quand on est dans un milieu polygame, vous voyez le danger que cela représente pour la population. Donc cette case va avoir deux aspects : la lutte contre le paludisme par l’assainissement et l’hygiène de vie et la prévention des maladies sexuellement transmissibles que sont le sida et autres.
On ne peut pas avoir fait l’UNESCO sans penser au savoir. Il y aura une case de savoir. Parce que la clé du développement c’est l’éducation. Cette case permettra de faire l’alphabétisation et la post-alphabétisation, la ré-scolarisation des enfants déscolarisés par la simplification de l’apprentissage chez les jeunes filles et les femmes. Nous allons associer l’équipe de l’alphabet ‘’N’ko’’, qui va nous aider à intéresser une partie de la population qui se reconnaît dans cette écriture. Mais si vous apprenez la population à lire sans lui donner le matériel de lecture, elle retombe dans l’analphabétisme. Donc on a essayé de produire des documents qui vont permettre à cette tranche de la population à acquérir des connaissances. Et pour une plus grande efficacité des actions, nous envisageons une évaluation périodique. Pour ça, nous allons mettre à contribution nos jeunes étudiants de l’Université de Kankan. Nous allons également approcher les enseignants retraités qui sont disséminés un peu partout dans nos villes et qui aimeraient bien se rendre utiles à quelque chose. Le dernier volet, c’est le centre socio-éducatif. Il sera ouvert aux enfants de la rue et les enfants dans la rue. La différence est liée au fait que les uns n’ont pas de parents et les autres qui en ont n’ont pas de moyens de subvenir à leurs besoins. Ce centre socio-éducatif est une priorité parce qu’il permettra d’éviter la délinquance et insérer socialement ces enfants par le sport et l’éducation. C’est un centre où ils viendront manger, se laver, apprendre à lire et à écrire. Ils viendront aussi apprendre des métiers. Voilà les 4 volets pour le moment que nous envisageons de faire et auxquels nous donnons la priorité. Et je peux vous assurer qu’il y a eu un écho très favorable au niveau des personnes que nous avons contactées à l’extérieur parce qu’on ne peut pas faire tout ça sans argent. Pour le moment les fonds qui sont mis à contribution sont nos fonds propres parce que nous ne pouvons pas demander aux gens de faire tout pour nous. Notre pays ne se développera pas sans nous, et pour cela, il faut qu’on commence à montrer qu’on est capable. Donc, nos petites économies ont servi des fonds de départ pour soulager ceux qui n’ont rien. Cette initiative a été saluée par beaucoup d’associations, de partenaires,… qui veulent nous aider. C’est ce qui explique l’arrivée ici ce soir d’un responsable de l’UNESCO parce qu’une bonne partie des appuis qui nous a été donnée vient de cette institution. J’ai voulu la présence de cette personnalité pour qu’elle assiste aux opérations de distribution qui auront lieu ce samedi 18 décembre à Kankan. Pour le moment, par la grâce de Dieu, tout se passe bien.
Quel est le montant global de cet investissement ?
Non, je ne peux pas le dire. En donnant le montant global, je dévaloriserais l’action. Il y a des bénévoles qui ont consacré des nuits et des journées entières, à faire des choses qu’on ne peut pas quantifier. Le peu d’argent qui est sorti de ma poche, je l’ai mis de coté pendant une dizaine d’années. C’est ça ma contribution, le dire serait indigne de l’action. Ça n’a aucun intérêt. L’essentiel est que les gens parviennent à manger à leur faim
La prochaine étape de vos actions ?
Pour la prochaine étape, nous avons des promesses de financement à une échelle plus élevée parce que le centre artisanal comme vous le savez, on ne peut pas le réaliser sans fonds. C’est un montant assez conséquent qui s’étale sur trois ans. Mais le centre socio éducatif lui, va démarrer dans trois mois parce que le financement pour celui-là a été obtenu grâce à l’UNESCO.
Qu’est-ce-que vous projetez demain pour votre pays ?
C’est de voir mon pays dans un état totalement différent. Comme je vous l’ai toujours dit, j’ai parcouru le monde et beaucoup de pays d’Afrique. J’ai toujours été fier et passionné de mon pays. Tout ce que je n’ai pas fait pendant les 40 ans que j’ai passés à l’étranger, c’est ce que je compte faire pour mon pays demain. Ma contribution, c’est permettre à ce pays d’avancer, de progresser. Que je n’arrive pas à demander est-ce que c’est notre tour aujourd’hui pour avoir de l’électricité. Que je ne passe pas une heure à composer le même numéro de téléphone pour vous joindre vous journaliste. Je suis pour le bien-être de l’individu. Tout ce que je pourrai imaginer, inventer, faire pour que le guinéen dise Dieu merci ça va mieux aujourd’hui. Mais ceci, doit partir de l’action de tous, ça commence par la rigueur, la compétence. J’ai toujours dit à mes amis que le règne du militantisme est fini maintenant, il nous faut le règne de la compétence. C’est par ça qu’on peut arriver. Souvent les gens me demandent pourquoi je ne m’engage pas dans un parti politique. Mais si la solution passe par la politique, je m’y engagerai. Sinon moi, je crois quand même à l’initiative, à l’action.
Comme vous l’avez dit, l’éducation c’est la clé du développement. Or aujourd’hui, le système éducatif guinéen affiche une image peu reluisante. Les derniers événements à l’Institut de Faranah et à l’université de Conakry en disent long sur ce relâchement. Quels commentaires vous en faites entant qu’ancien fonctionnaire à l’UNESCO ?
Mon appréhension c’est que le système éducatif dans le monde est d’une manière générale le même. Si vous continuez à donner un programme d’il y a 30 ans forcément, il y a inadéquation. Dans toutes les Universités, ce sont les mêmes problèmes. Quand vous sortez d’université, l’objectif de l’enseignement supérieur est de former des cadres qui puissent travailler. Malheureusement, le marché n’arrive pas à absorber tous ces gens. C’est vrai que le problème se pose avec beaucoup plus d’acuité ici, mais il est partout. Par exemple, le Sénégal avait inventé un moment, l’utilisation des diplômés pour qui on avait donné des moyens de créer des petites unités de production parce que la fonction publique n’était plus en mesure de les absorber. Vous savez l’inadéquation ne vient pas seulement du contenu de la formation, ça résulte aussi des choix politiques qui ont été faits. Si vous choisissez le plein emploi dans le cadre du libéralisme, il faut que vous créiez les conditions favorables pour le développement de l’initiative privée. Et vous ne pouvez pas en même temps dire que vous ne pouvez plus recruter dans la fonction publique et empêcher les privés d’avoir les moyens de se développer parce que si vous ne produisez pas vous ne vendez pas, donc, vous ne pouvez pas engager. Et si vous avez des difficultés à faire prospérer votre entreprise, forcément vous ne pouvez pas absorber tous ces universitaires. Donc c’est un problème général. Ce sont les solutions qui diffèrent. En ce qui nous concerne, avons-nous trouvé les meilleures solutions ? Je ne sais pas. Je pense que nos frères qui ont en charge l’enseignement supérieur ont dû trouvé des meilleures solutions. On peut quand même s’inspirer des solutions qui ont été trouvées ailleurs. Vous savez, tous ces pays développés qui absorbent leur enseignement supérieur ou en grande partie, ce sont des pays qui ont fait de gros efforts pour certains dans le libéral, pour d’autres dans la mixité. Si vous prenez un pays comme la France, vous avez une fonction publique florissante même si on pose tout le temps de problèmes qui absorbent un certain nombre de cas. Et, vous avez aussi les entreprises privées en compétition et qui arrivent à produire. Et nous, c’est tout ça qui devait être posé maintenant, on les a posé il y a longtemps quand on a privatisé ! Par exemple, ‘’France Telekom’’ était à 100% la propriété de l’Etat français. L’Etat a encore des actions prépondérantes dans ‘’France Telekom’’ qui a acheté des entreprises de Telekom en Afrique. ‘’France Telekom’’ n’était pas privée en ce moment c’est ce genre de situation qui nous amène à des situations compliquées parce que la réflexion qui est faite, je ne dis pas qu’elle ne va pas jusqu’au bout, mais je ne suis sûr qu’elle prenne en compte l’ensemble des données du problème. Or, pour trouver une bonne solution, il faut prendre en compte l’ensemble des données chaque fois que cela est nécessaire.
Un dernier mot
Je suis ici pour une action que je poursuivrai vaille que vaille parce que je suis déterminé à ce que les populations sachent qu’il y a des alternatives à leur situation. Et pour ça, je n’arrêterai pas, j’agirai, je réfléchirai pour trouver des solutions.
Interview réalisée par
Ismaël Camara